Marie Soza
Marie Soza correspondante d'un collectif d'agriculteurs d'une vallée
du Pérou a interrogé pour nous Jean Casanave,un des responsable
de l'Ifocap-Adour.
M.S. Pourquoi avez-vous fondé cette association?
J.C. L'Ifocap-Adour, Institut de formation des cadres paysans
et acteurs de Pays, a vu le jour il y a une douzaine d'années car avec
quelques amis nous nous sommes aperçus que le monde rural en général
et le monde paysan en particulier subissaient une crise très importante
et qu'il fallait donner aux jeunes générations des outils pour
comprendre et réagir à la situation.
M.S. Pourriez vous définir cette crise?
J.C. Elle revêt plusieurs aspects. D'abord une rupture
démographique. Il y a un siècle 80% des français étaient
ruraux, aujourd'hui 80% sont urbains; et dans ces 20% de ruraux actuels les
agriculteurs sont minoritaires. Deuxième aspect de la crise, l'avenir
de l'agriculture paraît de plus en plus compromis malgré la régulation
exercée par la PAC (Politique agricole commune). Troisième aspect,
une cassure culturelle. Jusqu'ici on peut dire qu'il existait une culture rurale
qui puisait ses origines dans un rapport commun à la terre et dans une
même source religieuse, le christianisme. Aujourd'hui le rural est traversé
par des cultures différentes et parfois opposées. Quant au christianisme,
il n'est plus pour un grand nombre de personnes que le témoin d'un passé
révolu.
M.S . Nous reviendrons peut être un jour
sur le rural français mais parlez nous un peu de l'agriculture?
J.C. L'agriculture a connu en 50 ans une sorte de révolution.
A partir des années 1950 elle est passée d'une activité
de subsistance à l'une des productions les plus importantes de l'économie
française. Ce fut la période que l'on appelle des "30 glorieuses".
Mais l'agriculture a été victime de son succès. Après
la guerre, on lui avait demandé un effort considérable et elle
rempli son contrat. Son "industrialisation" a provoqué la surproduction,
la baisse des revenus et donc une course au développement qui a fait
lâcher prise à beaucoup de paysans.
M.S. Et maintenant?
J.C. Les agriculteurs doivent relever de nouveaux défis
difficilement conciliables. On leur demande de plus en plus de produire de la
qualité mais au moindre prix pour le consommateur. On exige d'eux de
préserver la terre de toute agression mais en même temps de l'ouvrir
à toutes les activités ludiques que réclament les citadins
à la recherche de racines et de cadre verts. Par contre, la production
industrielle de végétaux fournissant la bio masse susceptible
de nous alimenter en énergies renouvelables est admise par la plupart.
Bref, quel avenir pour les agriculteurs?Les uns persistent à se nommer
"paysans", faisant et habitant un pays, offrant à leurs compatriotes
une nourriture saine et diversifiée, une culture spécifique entretenant
une relation particulière avec la terre et avec leurs semblables. D'autres
se demandent si dans le cadre d'une concurrence de plus en plus grande des produits
alimentaires de base, ils ne seront pas les sous- traitants des grandes filières
agro-alimentaires qui se partageront le marché mondial. D'autres enfin,
finiront peut-être comme fonctionnaires d'un Etat qui gérera les
nouvelles sources d'énergies issues de l'agriculture comme il le fait
des produits pétroliers.
M.S Vous n'êtes pas très optimiste?
J.C. Ce n'est pas une question d'optimisme mais un simple constat
d'une complexité de plus en plus importante du métier d'agriculteur.
Celui-ci peut de moins en moins se considérer comme un monde à
part ce qu'il n'a jamais été. Il ne peut accomplir sa mission
sans se soucier de la demande des consommateurs ni de celle de la nation, de
même que ceux- ci ne peuvent ignorer les difficultés des agriculteurs
et se passer de leurs services. Tous les leaders syndicaux savent bien que l'alimentation
n'est pas une marchandise comme les autres et qu'on ne peut pas la laisser à
la merci des lois du marché. Mais chacun sait aussi à quelles
aberrations ont conduit une collectivisation et une planification totales de
l'agriculture. Nous sommes condamnés à la complexité, au
compromis, à une gestion humaine. En ce sens l'agriculture restera toujours
une affaire de culture...
* Jean Casanave est l'auteur de deux livres traitant des questions rurales:
>"Renouer avec la terre" ed de l'Atelier 19997 Paris
>"Le ciel est rouge, il fera beau..." ed. de L'harmattan 2004 Paris
> Ifocap-Adour, 1 rue Pont Marlats 64190 Jasses France.